FONDS ACRYLIQUES
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D'Héraclite,
l'écoulement, maintenant immobile.
De Vermeer,
un poulpe aux doigts lactés.
De goya,
un corps ingurgité.
Mais de quel peintre, de quel catalan,
pourrait bien me venir la mémoire d'une montre?
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Résilience : des ballades de Brahms, Chopin, Litszt, jouées par le pianiste Pierre Le Bihan. Avec elles, en résilience, sur une lune ailée cheminant, le cavalier astral.
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Résilience, des ballades de Brahms, Chopin et Litszt jouées par le pianiste Pierre Le Bihan dans la course nocturne d'un cavalier astral, la lueur d'un chant.
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LA GRANDE HUITRE COSMIQUE ET SES SŒURS ACRYLIQUES
Ici et maintenant, voici trois immersions nocturnes. Du plus profond des reflets qui hantent la surface des eaux, ce sont des miroirs traversés. Les trois sœurs de toile peignent un au-delà. Elles incarnent en présence, un monde sous-jacent.
Je ne sais pas s’il est d’avant ou d’après le temps.
Instant fixe, moment perpétuel, ils n’a rien d’un mouvement arrêté : il est là, il demeure.
Toutes de toile pure : du lin de Madrid finement imbibé d’un enduit transparent, une étendue de fils écrus, elles portent les espaces et les corps que l’unité du fusain et d’une gamme tricolore noire, blanche et bleu ciel presque-à-peine rouge suggère.
Le lin, nous nous en souvenons, fut souvent la matière des suaires : il sait garder les rêves imprimés au fond des yeux, les images persistantes nageant dans les abîmes au plus profond des flaques.
Toutes contiennent un horizon. Il se déroule souvent au même niveau de chacune des toiles à la base de son tiers supérieur. Mais le lieu n’est pas immuable. Parfois, autant que moi, il chavire et s’évade. Frontière optique, symbole en interface de la terre et du ciel, il est le lieu de notre rencontre avec l’infini. Là, au plus lointain, il recueille la projection de nos regards.
Observez s’il vous attire.
Dans le regard des oursins, il traverse les yeux du crâne aux orbites ouvertes.
Dans la Grande huitre cosmique, il suggère par-dessous et fantôme, le lointain rivage qui convertit le coquillage en embarcation, le sédiment en navire.
Dans la Parole retrouvée, il réunit d’un même fil les astres du jour et de la nuit, un œil et une oreille.
Toutes ces toiles sont des perspectives.
Voici le regard des oursins.
Un silence absolu règne dans le mystère des eaux. Un crâne les illumine. Limpide, net, il se tient parfaitement droit. Aucune gite, aucun courant n’a compromis son équilibre. Sa mandibule est en place, prête à mordre, à chanter. Il ne lui manque aucune dent. Aucune lézarde ne se faufile. Rien ne le fragilise. Pourtant un pan entier a quitté l’occiput : ses fosses orbitales sont à jamais ouvertes, son regard s’est à jamais enfuit, plus rien ne pourra plus jamais le contenir. Au-delà, le crâne lui-même a répandu ses pensées. Ouvert, extime, il écrit l’horizon au plus profond des yeux.
Autour de lui, s’étend un champ d’oursins. Noirs et bleus comme des satellites, ils entrouvrent l’amande de leurs bouches. Sexes féminins aux paupières écarquillées, ils contiennent des yeux luisants, chuchotent des prunelles bleues et lisses. Sexes masculins tendus, extraits de la matrice, au-delà des lèvres en amande, échappés de la sphère d’une femelle oursin, ils expriment des bulles oculaires. Reliés au cœur des vulves piquantes par des pédoncules veineux, d’autres yeux leurs répondent. Ce sont des algues ancrées aux fonds des fonds marins. Un regard multiple s’élève de la noirceur des eaux. Ecoutez-le, il bouge. Regardez-le répandre à son tour la lumière grain par grain. Depuis les entrailles des femmes échinodermes, échappés d’un pénis abyssal, ils s’élèvent de l’obscurité féconde. Ils sont le regard de la nuit. Ils sont : les planètes.
Un chien mélancolique rêve en silence d’un nouveau jour tout prêt à s’élever mais encore retenu. Les cavaliers d’écume (je les crois bien poètes) surgissent de la dentelle d’une fragile vague tout juste soupçonnée. Ils sont armés de lances et portent des drapeaux.
Voici la Grande huitre cosmique.
La nuit murmure la promesse d’un chant nouveau. La nacre éclairée des coquilles a recouvert l’obscurité. Epanouie et ouverte, l’huitre livre sa chair à la contemplation. Le clapotement de ses eaux neuves s’étend d’un ourlet noir et couronné de cils. Ils glissent sur les flancs lisses de ses courbes polies en pleins et déliés. Elle se recroqueville, se répand et s’étale à cœur ouvert.
L’huitre est originelle. J’y retrouve l’agate, la bille évaporée de mon enfance, les nuages spiralés de son cristal qui m’emmenait si loin, l’iris et l’œil en ses humeurs lactées, le goût salé des larmes, l’halètement houleux d’un océan premier, le miroir secret retenu par les eaux, bien avant la lumière.
L’huitre est originelle, elle est sexe, paysage, quintessence du monde. Elle est l’océan, voyez comme elle ondule. Elle est le ciel, noir, gris-blanc et bleu. Elle est la terre, le fragment coquiller qui craque sous la dent et reste sur la langue. Elle est le vent, le souffle iodé de l’océan, l’immensité lointaine qui chante aux yeux fermés.
L’huitre est originelle, elle sécrète une perle du rien d’un grain de sable. Elle porte des planètes au fond de ses entrailles. Elle murmure à l’espace les voiles étoilés des rameaux galactiques.
La voir ainsi ouverte dans le tréfonds des eaux est un tableau surréel. Il n’appartient qu’à ceux qui dégustent des huitres sur un plateau livré au creux des fosses abyssales, à ceux qui s’émerveillent à la lueur de leurs noires phosphorescences. Eventrées à la surface des assiettes, elles s’effacent, s’avalent, se déchirent, s’assèchent…N’est-ce pas ainsi que va la poésie quand, extirpée de ses planants mystères, elle gît parmi le contingent ?
Le corps des eaux nocturne s’est ouvert en amande. Un œil transparait de sa bogue entrouverte. Plus haut comme une montgolfière, il s’élève en douceur du creux de la coquille. Il noue au filin de ses veines le corps d’une planète. Viens, lui dit-il : « Ensemble, nous irons plus loin. La route sera longue, mais nous irons plus loin ».
Les lieux se superposent, les images se croisent. L’huitre se fait tête d’aigle ou d’oiseau-perroquet ; sa queue, langue de lézard, sifflement de serpent.
Les lanciers-cavaliers en armes et drapeaux, archers, conquérants, religieux chapeauté d’auréole et entourés de fers ou quelqu’un comme moi coiffé d’une couronne sur un bateau de bois sont ici sur la rive de la grande huitre cosmique. Là, devant-eux, comme éclairé de nacre, un œil-aérostat chargé d’une planète élève son regard.
Voici la Parole retrouvée.
La mandibule a rejoint la surface des eaux. La boite crânienne s’est dissipée. Le spectre d’un visage s’y est substitué. Sa tempe s’est ouverte au lointain. De ce front, il vient comme un miroir dont je sais le reflet : c’est un regard à l’oreille décollée entre soleil et lune. Parmi sa chevelure, des corps enchevêtrés. Hommes, femmes, emmêlées de membres en synapses, ils creusent le cerveau de son demi-visage dissipé en plein ciel.
Avant que le visage ne s’impose en image, avant que la chevelure de ces corps emmêlés bleus et blancs ne recouvre le séjour des pensées intérieures, j’avais imaginé une sorte de conversation : deux individus échangeaient des mots de part et d’autre d’une table dans la transparence d’une tête. Je n’entendais rien de leurs dires. Narcisse et Goldmund, Je savais qu’ils se parlaient. J’essayais de deviner ce qu’ils pouvaient se dire, de lire sur leurs lèvres encore indessinées.
Mais la scène pesait trop.
J’avais commencé à la peindre, mais elle était trop lourde.
Je l’ai recouverte.
Elle luttait avec l’apparition qui m’était survenue au premier lieu du tableau. La toile n’était encore que de lin écru et d’aucun signe. Elle était intacte. Aucune tâche ne l’avait atteinte, mais je ressentais déjà l’irrésistible besoin de peindre une crevette bleue enjambant une mandibule.
L’apparition venait comme un mystère. Il me fallait le décortiquer. Je plaçais devant moi ce que j’avais en tête. Empalé à la pointe d’une pique, j’installais mon modèle. Je le sortais de sa barquette (c’est ainsi qu’ils atteignent Bordeaux) et engageais la scientifique auscultation de sa nudité cuite et rose.
Sa chair était contenue dans un étui cartilagineux, une armure pincée d’agrafes parisiennes, aiguisée aux points les plus extrêmes et pommelée de tâches de rousseurs.
Aidé d’un scalpel, je me suis infiltré dans les charnières de sa carapace, j’ai écarté ses pattes et ses antennes, j’ai déplié tout ce que son corps laissait déplier. Et là j’ai atteins la lumière d’un premier secret : la crevette a des bras dans la tête !
Le heaume effilé et pointu comme le dard d’une licorne à la proue du Nautilus, le nez qu’elle porte en pic comme à l’avant d’une bat-mobile, n’est pas un occiput, une boite crânienne, un coffret à cervelle, c’est un faisceau de pinces, de rames, de barbiches, de radars et d’outils ordonné par le vide, la béance d’une bouche ouverte à tout-venant.
Alors j’ai peint ses yeux géodésiques ; j’ai peint ses longues antennes annelées ; J’ai peint ses mamelles aréolées de balayettes…
Et j’ai vu.
J’ai vu la parole retrouvée.
Jaillissant du silence des eaux les plus profondes, son corps cambré enjambe la relique d’un os décharné, une mandibule dentée d’ivoire et nous tire la langue !
Eric Lefeuvre.
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